Un enseignant est jugé principalement sur deux qualités : compétence et pédagogie. Quand il dispose des deux on dit de lui qu'il est bon et on le conseille volontiers à son entourage (c'est un constituant fort de sa notoriété). L'excellence n'étant pas la norme, ils sont légion ceux qui disposent de l'une et l'autre dans des proportions diverses. Nous avons tous suffisamment été à l'école et/ou à l'université, suivi des formations professionnelles ou entrepris des stages sportifs au cours de notre vie pour tomber d'accord là-dessus. Ces deux qualités ne sont cependant pas strictement égales en valeur : je postule que la pédagogie est toujours supérieure à la compétence (la pédagogie seule ne suffit pas. Il faut, bien évidemment, disposer d'un minimum de compétences par rapport au niveau enseigné sans quoi on n'est pas un enseignant mais un imposteur).
Lorsque que l'on démarre une activité sportive, au hasard le kitesurf, il est fort agréable, voire réjouissant, de participer à un stage animé par un coach très doué dans sa discipline. On peut même en tirer une certaine fierté. Reste que l'on ne le paie pas pour être fier de lui, mais pour qu'il nous permette d'atteindre, dans les meilleurs délais et conditions, ce petit niveau n+1 qui nous fait tant envie. Autrement dit, à une compétence surdimensionnée il vaut mieux préférer une compétence plus modeste mais accompagnée d'une bonne pédagogie. Evidence ! s'écrient certains. Pas si sûr...
Anecdote (tirée des Brèves de kite publiées en 2017) : Safaga, Égypte, 2è jour de mon stage. Je n'avais quasiment aucune expérience de la mer et du vent. Et justement, pour le coup, du vent y en avait tant et plus, mais à l'époque je ne disposais d'aucune échelle de valeurs. Je préparais l'aile qui me semblait requise. Et c'est casqué, harnaché, caparaçonné, leashé, aile au zénith, suant et suffocant sous les rayons ardents de Râ que j'allais à l'eau. Le coach, tranquille, pas vraiment concerné, nous attendait au bord. Me voyant arriver, il me pointa du doigt et me lança :
- 35 noeuds et tu pars en 7m ? t'es pas un pédé toi !
Je me souviens que, certes, je fus un brin flatté par son apostrophe mais... quelque chose au creux de mon ventre brûlait comme un feu d'alarme. Peut-être valait-il mieux être un « pédé » vivant qu'un hétéro en partance pour boire un furieux bouillon de 11 heures ? L'histoire s'est bien terminée. Je suis toujours hétérosexuel et j'ai une appétence pour le vent fort. Pour moi, le kite en twintip c'est une 7m et 35 noeuds. En deçà, j'aime moins. Chacun ses goûts et ses couleurs. Faut-il
voir dans cet exemple édifiant une pédagogie de l'horreur ou, au contraire, l'exception qui contredit la bonne règle, la vertu de la méthode musclée ? (je connais un certain Philippe* - prénom désormais célèbre dans le landerneau du kite - qui risque de perdre un oeil à la lecture de ce paragraphe). Que l’on se rassure, je fais semblant de poser la question. Pour ce qui concerne l’animateur de mon fameux stage, j’espère qu’il a changé de métier.
La pédagogie, soit ! Mais sous quelle forme ? Certains moniteurs sont des stakhanovistes de la méthode, d'autres officient au feeling. Comme souvent, la vérité doit se trouver quelque part au milieu du gué. Reste que si la méthode montre la direction, le bon sens trouve le chemin. Pour votre serviteur, la bonne pédagogie c'est celle qui est en capacité de s'adapter à son auditoire, d'une part, et qui s'agrémente de petites astuces productrices du déclic salvateur, d'autre part.
Quand on a un gros niveau, qu'on maîtrise parfaitement tous les aspects techniques liés à la pratique, on a souvent tendance à voir plus loin dans son enseignement et on cherche à construire pour le futur au détriment de l'immédiat. Je pense notamment à l'enseignement du tennis (sport pour lequel j'ai eu une folle passion). Pour en avoir longuement et régulièrement discuté avec des amis qui s'y sont mis sur le tard (la quarantaine), le récit de leurs stages d'entraînement me laissait coi. On leur apprenait le tennis comme on l'enseignait à des gamins de 10 ans : mêmes méthodes, mêmes exercices, mêmes corrections, mêmes gammes, etc. Eux avaient pour objectif d'échanger des balles avec des amis. Le prof les préparait pour aborder d'éventuels tournois... Hiatus dans la démarche, divergence dans les projets.
Le kitesurf présente cependant un tropisme particulier lié à sa potentielle dangerosité. L'enseignement de la sécurité est incontournable et doit suivre des procédures rigoureuses. Ce ne sont pas des choses qui se négocient. Mais pour le reste, former des gens (adultes) de façon efficiente me paraît être, à la fois, la voie de la réussite et de la raison. Une des manières pour y parvenir est de se souvenir de ses propres errances de débutant dans le niveau recherché. Il suffit parfois d’un petit rien pour passer à l'étape supérieure mais, sans aide extérieure, on peut mettre longtemps à comprendre... Pour les purs débutants ça signifie souvent perdre son temps et s’épuiser à jouer au bouchon entre deux vagues. C'est moins le cas quand, débrouillé ou expérimenté, le corps a appris et laisse du temps de cerveau disponible pour produire une auto-analyse. Le bon pédagogue, fin observateur, a la capacité de donner ce petit conseil pratique tant attendu en mesure de débloquer une situation.
Philippe Ancelin me disait dans un commentaire que les stagiaires ne retiennent qu'une part infime de ce qu'il leur dit pendant ses cours. C'est là où je voulais en venir. Le stress lié à la découverte, à un environnement anxiogène, à ce statut inquiétant d'homme-mât offert au caprice du vent... tout participe à brouiller l'esprit du stagiaire et l'empêche d'emmagasiner les précieuses informations qu'il devrait thésauriser. La pédagogie du moniteur, et plus précisément, sa capacité à observer, à transmettre, à aller à l'essentiel, à trouver des métaphores qui parlent au stagiaire... concourent plus à la réussite du stage que nombre de discours ou de démonstrations, fussent-ils éblouissants.
Dans un précédent article j'évoquais la position des mains sur la barre. Je m'étonnais que cette petite consigne toute bête (génératrice de tant de bénéfices à mon humble avis) ne soit pas plus souvent transmise au stagiaire. On m'a répondu que ça dépendait, qu'il y avait des cas particuliers où ça n'était pas souhaitable... Reste que 100% des primo-débutants que je vois évoluer ont les mains aux extrémités de leur barre et 100% des expérimentés non. Ou alors c'est mes yeux (l'âge venant)...
Si une bonne pédagogie est rare c'est sûrement parce qu'elle en appelle à la singularité, à l'observation, à la créativité. Bien sûr, il ne s'agit pas de réinventer la roue à chaque occurrence, il faudra toujours dégrossir avant de polir. Et dans ce domaine comme dans d'autres, un bon pédagogue se distingue d'un mauvais pédagogue comme le bon chasseur du mauvais chasseur. Le gars, il a un stagiaire, bon, y tire... un bord ?
*Philippe Ancelin de OneLaunchKiteboarding. J'ai eu le plaisir d'être parmi les relecteurs de son manuel de kite (par où tout a commencé) et le critique de ses tous premiers tutos. La première chose qui m'a interpellé chez lui c'est justement ses grandes qualités pédagogiques. Son succès personnel comme celui de son groupe sur Facebook (qu'il ne doit qu'à lui-même) ne m'ont pas donné tort.
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