Lucile Arnaud, professeur des écoles, membre du bureau de l'association Be Good'n'Ride (pays Bigouden), Kite depuis 2013 (uniquement surf strapless)
La première sensation en début de confinement fut celle du bien-être, du retour à l'essentiel.
Je me suis dit que c'était pas si mal, que je pouvais enfin prendre le temps de lire, faire du yoga, écouter de la musique, cuisiner (si ce n'est apprendre à cuisiner !)... Au bout de quelques jours, j'ai déjà nettoyé dix fois la cuisine, passé l'aspirateur quinze fois, trié les veilles photos, mis de l'ordre dans les papiers, fait le tour du quartier cinquante fois, trinqué tous les trois jours en apéroskype...
L'impression de bien-être fait place à l'anxiété.
Mon esprit est vite rattrapé par l'angoisse, les manques... Et le sentiment d'être un lion en cage. Le yoga me fait du bien, mais ne remplace pas le kite, l'adrénaline, le fun, l'embrun, les sensations de l'air qui fouette le visage, l'eau froide qui se faufile sous la combinaison, le sable sur les pieds puis dans la voiture... Sans oublier les conversations au cours desquelles chacun refait sa session, accompagnées parfois d'une petite bière calée dans la glacière...
Tout s'accélère alors...
Je ne parviens plus à différencier le vrai du faux, la réalité de la fiction, l'honnêteté des mensonges. La nécessité de se confiner se convertit alors en privation de nos libertés... L'anxiété fait place à la colère. L'envie de retourner à l'eau devient pressante. Les informations en boucle accélèrent le besoin de rupture, de s'échapper, d'oublier... Je suis en colère de ne pas pouvoir faire le plein d'énergie en allant à l'eau. Je suis en colère de ne pas pouvoir marcher le long de la mer, alors que j'y habite et que nos plages sont désertes. Je pense aussi à tous ceux qui sont privés de cet espace nécessaire à leur équilibre, ainsi qu'à tous ceux qui travaillent autour de cet élément et qui en ont besoin pour gagner leur vie.
Puis j'entre dans une troisième étape, celle où je réalise que ce besoin est si futile, si égoïste. J'ai la (mauvaise) idée de regarder les 25 épisodes d'« Apocalypse, la guerre des mondes » qui retrace les grands conflits du siècle dernier. Ces scènes d'horreur et tous ces départs sans retours... La colère fait alors place à la prise de recul. L'envie de retourner à l'eau est bien là, mais n'est pas vitale. Je me battrai pour retrouver l'accès aux plages, mais, contrairement à eux, je n'y perdrai pas la vie.
Aujourd'hui, dimanche 10 mai, j'espère atteindre le bout de ce voyage intérieur, je ne sais pas de quoi sera fait le monde de demain. Je souhaite une prise de conscience collective et davantage d'actes responsables afin que chacun puisse jouir de sa liberté sans détruire ce qui nous entoure... Je me languis de retrouver la mer et mon kite afin de rendre réel et palpable, jusqu'aux bouts des ongles, ce sentiment de liberté.
« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » L'homme et la mer - Charles Baudelaire.
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