On rigole bien volontiers, à un moment ou un autre, en regardant une vidéo de Bastien Bollard. On éructe du même rire de gorge réflexe qui traverse les époques et les cultures. La chute inattendue d'un individu, célébrité notoire ou passant anonyme, provoque le rire avant tout autre émotion. Ça a toujours été et ça remonte à loin. Encore assez proches de nous, les mésaventures fracassantes de Mickey Mouse qui a inauguré le genre du cinéma d'animation ; Avant lui, ce bon vieux Charlot faisait plier en deux l'auditoire des premières salles obscures au temps du muet ; Le roi tout puissant sur son trône pouffait des pitreries ridicules de son bouffon ; Le seigneur médiéval était captivé par la chanson de geste ; et ainsi de suite en remontant jusqu'à l'aube de l'humanité. À n'en pas douter, le premier sapiens-sapiens devait déclencher l'hilarité de ses congénères en s'écrasant les doigts avec le silex qu'il tentait de manipuler.
Puis un jour, le rieur des cavernes s'est retrouvé la gorge tranchée par ce qui était devenu une arme enfin maîtrisée ; Le seigneur en son fief a assisté, médusé, à la naissance du récit moderne, au "je" d'un François Villon qui ouvrit la voie à la littérature moderne ; Le dernier monarque français est monté sur l'échafaud pour se faire raccourcir, sous les quolibets de ceux qui étaient, jusque-là, chargés de le divertir ; Si la frêle silhouette de Charlot imprimée sur pellicule noir et blanc amuse encore les vieux enfants, elle n'en est pas moins devenue culte ; Quant à la souris de Disney, elle a donné naissance à toute une descendance qui est aujourd'hui gérée par un trust mondial. Gare au bouffon !
L'inversion de l'Histoire ne fera peur à personne et n'y changera rien. Nous serons toujours les rieurs des autres, et certains êtres évolués, les rieurs d'eux-mêmes. Tout ça est très heureux. Le rire est une source insondable de bienfaits. Et voir son prochain se casser la gueule reste un plaisir simple auquel il est difficile de résister. Le rire, spontané, irrépressible, donc incontrôlable, ne peut pas être critiquable puisque il est naturel. Ce qui l'est plus, critiquable, c'est ce que certains en font. Je ne parle ni de moquerie, ni de dérision, ni de caricature. Mon propos n'est pas moraliste. Je parle de cette propension incroyable à juger autrui, ou pour le moins, à se croire l'égal de chacun, l'égal de tous.
Nous ne sommes pas égaux parce qu'on fait tous du kitesurf Les gens qui sont dans l'action, qui créent au quotidien et qui ont le courage de s'exposer n'habitent pas sur la même marche du podium que ceux qui commentent, quelle que soit la qualité de leur plume ou leur facilité à manier l'ironie. Il y a, il y aura, il devrait toujours y avoir une hiérarchie entre ceux qui font et ceux qui regardent, entre acteurs et spectateurs, entre créateurs et critiques. Pour le plus grand malheur de l'époque, cette hiérarchie est plus souvent qu'à son tour annihilée. Dans mon monde idéal, chacun devrait se souvenir d'où il parle au moment où il parle, quand il s'exprime en public.
Pour certains de ses tutos (Ride With Me), Bastien Bollard a fait le choix de la difficulté : il a choisi le temps long. Il se met en situation d'apprentissage en partant de zéro et ne cache rien de ses doutes, de ses difficultés, de ses galères, de ses erreurs, de ses peurs, de ses tentations de renoncer... Il patauge comme tous les apprentis du monde pataugent quand ils sont confrontés à une situation nouvelle avec un matériel nouveau dans une discipline nouvelle. À titre personnel, je trouve cette démarche courageuse et empreinte d'une grande humilité. Personne n'ignore son statut de prof de kite, peut-être moins nombreux savent qu'il a été rider pro. Autant de circonstances aggravantes pour juger ses errements quand il aborde le foil ou le wingsurf. Il pourrait s'entraîner en off comme un dératé et venir ensuite présenter sa docte science en n'omettant pas la petite séquence crash de fin qui va bien, pour faire sympa. Je ne dis pas que sa méthode est meilleure qu'une autre, ni qu'elle est exempte de critiques, je dis une chose simple : s'exposer ainsi quand on a "un statut" ne m'inspire que du respect, car c'est la signature d'un cœur courageux et fort.
J'ai échangé trois phrases avec Bastien sur les réseaux. Autant dire qu'on ne se connaît pas. Mais si un jour je le croise sur ce magnifique spot de l'étang de Thau, peut-être oserais-je rompre le tranquille et confortable anonymat dont je me vêts comme d'un manteau, pour aller lui serrer la main.
« À Athènes, on disserterait sur le courage dans un dialogue qui n'en finirait pas et dans lequel un vieux malin bedonnant aurait vite fait d'avoir raison d'un joli petit jeune succombant, bien vite, à la seule beauté de la dialectique du barbon ; À Rome, on se tait, on montre et on regarde : « Voici le courage ! » Quand il est là, on le voit ; quand il fait défaut, ça se voit aussi - dans les deux cas, on comprend... »
Michel Onfray - Sagesse
Je suis grec. Bastien est romain. Et vous ?
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