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Le surfeur, l'écolo, le philosophe et les dents de la mer

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Le surfeur, l'écolo, le philosophe et les dents de la mer

par Carving le 22.09.2019 - temps de lecture estimé: 5mn

Le surfeur

 

Nous vivions au paradis. Nous vivions en harmonie entre la mer et la terre, entre la vague et la montagne, entre l'eau bouillonnante des côtes et l'eau vive des cascades... Et puis un jour, on a coupé notre monde en deux, nous privant le l'océan, nous condamnant à barboter dans des lagons, nous empêchant de surfer comme les dieux païens de nos ancêtres. La mer est devenue mortelle. Désormais, le requin rôde et nous tue. 12 morts en 8 ans.

L'économie du surf à la Réunion est exsangue. L'île est marquée au fer rouge « danger requin ». Et nous ne sommes pas les seuls à en pâtir. Nos plages ouvertes sur la mer sont interdites à la baignade. Même les pêcheurs risquent leur vie.

Les écolos nous disent qu'il n'y a là rien que de plus normal. Que l'océan est le territoire du requin. Qu'on doit laisser la place. Mais nous ne réclamons pas l'immensité de l'océan. Nous revendiquons 200 mètres sur une mince bande côtière pour surfer les vagues comme nous le faisions depuis des lustres. Nous vivions en paix, respectueux de la nature, de la mer et de son peuple. Nous ne pratiquions aucune tradition mortifère dont les poissons auraient été les victimes (pas de corrida de requin chez nous). Nous n'étions que les passagers éphémères des vagues.

On vient nous reprocher, à nous surfeurs, les surpêches, les tueries de requins de par le monde. Qu'a-t-on à voir avec ça ? On nous dit que si quelques écoles de surf ont fermé ça n'est pas si grave, rapport aux autres problèmes économiques de l'île. Sans doute, ce raisonnement s'applique-t-il aussi aux kiteurs métropolitains quand Natura 2000 décide de restreindre l'accès à un de leur spot ? Sans doute le prennent-ils avec la même philosophie... « On ne peut plus kiter ? qu'à cela ne tienne, on va démarrer une collection de timbres !... »

On a identifié différents problèmes qui pourraient attirer ces prédateurs sur nos spots : les rejets de déchets en mer, les eaux turbides, le déversement d'alluvions suite à des fortes pluies, la pollution, la réserve marine... mais qui sait dire exactement la réalité des causes ? Qui sait, et surtout, qui a la solution ?

Certains d'entre nous pensent, par pragmatisme, qu'il faut chasser à nouveau le requin en ces lieux. Nous ne sommes pas tous d'accord sur la méthode.

En revanche, ce qui nous unit c'est la même aversion pour tous ces humains qui pensent que la vie de nos semblables, de nos jeunes, de nos familles, ne vaut pas plus cher que celle d'un poisson.

L'écolo

 

L'Homme est un animal terrestre. Le requin est un animal marin. Si le requin échoue sur la terre, il meurt. Si l'homme va en mer, il prend ses risques en conscience. La ligne de démarcation des territoires est franche et non négociable.

L'Homme pourrit tous les milieux où il pose le pied, créant des dégâts considérables à la faune et à la flore. Et il n'en a jamais assez. Partout où il débarque, il s'installe en monarque absolu et son activité dénature et tue de multiples espèces, rompant ainsi un équilibre fragile, unique et précieux. L'Homme, voilà le seul problème de cette planète !

Le requin est un animal magnifique d'une utilité capitale dans la chaîne alimentaire. Certains d'entre eux, comme le requin blanc, sont menacés d'extinction et c'est une situation gravissime. Alors, quand au regard de cet état de fait on voit des surfeurs verser des larmes de crocodile parce qu'ils doivent renoncer à leur hobby, ça ne me fait pas pleurer. Je trouve même ça pathétique. Mais si les mêmes préconisent la réouverture de la chasse aux requins, alors je juge ça criminel.

On fait un procès injuste à cet animal. Il ne fait qu'être que ce qu'il est dans son propre milieu. Son instinct (notamment pour le requin bouledogue) le pousse à goûter tout ce qui se trouve devant lui. Il n'est donc pas un prédateur naturel de l'Homme. Par conséquent, il ne faut pas parler d'attaques mais d'accidents.

Quoi qu'il en soit, les requins étaient là bien avant l'Homme. Puis ce dernier s'est mis à occuper son territoire pour des activités de loisir. Si dommageables soient les morts humaines, la responsabilité en incombe aux hommes, pas aux requins. Et si certains s'entêtent, quelques morts humains ne sont rien comparé au génocide dont sont victimes les requins.

Le philosophe

 

L'écologisme qui consiste à inverser les priorités et mettre la Nature avant l'Homme est une aberration car ça n'a aucun sens. L'Homme est et demeurera au départ et au centre de tout sur cette planète comme sur celles qu'il sera éventuellement amené à conquérir. Il est consternant de constater qu'au XXIè siècle, nombreux sont ceux qui raisonnent toujours sur le mode platonicien, fondé sur le dolorisme ici-bas, et un ciel pur des idées servant de toit à un arrière-monde merveilleux. Et de considérer que si l'Homme disparaissait, sa raison et ses bons sentiments persisteraient, flottant dans quelques éthers gazeux, pour s'émouvoir de la beauté superbe de cette belle planète enfin rendue à Mère Nature.

Sans homme, faut-il le rappeler ? il n'y a plus l'œil de l'Homme, plus le cogito de l'Homme. Donc plus rien pour s'émouvoir de la beauté du monde. Beauté qui est exclusivement un concept humain fondé sur l'arbitraire. Quelqu'un s'est-il déjà demandé pourquoi on tombe naturellement en pamoison devant une vidéo de chaton sur Facebook plutôt que sur celle d'un concombre de mer ou d'un boa constrictor ?

S'il n'y a plus d'Homme, il n'y a plus de planète parce que plus aucun d'humain pour l'observer. Fin de l'histoire. Mais si l'Homme disparaissait quand même, que se passerait-il ?

1. Probablement qu'une espèce animale finirait par prendre le leadership. La colonisation, la conquête de territoires, l'expansion des espèces, animales ou végétales, sont consubstantielles au biologique. Il y a fort à parier que la Terre ne correspondrait pas, à terme, à l'image idyllique - genre Le livre de la jungle - que se construisent mentalement certains humains d'aujourd'hui.

2. Peut-être laisserions-nous à des extra-terrestres plus scrupuleux une planète apaisée ? Là encore, c'est une vision purement humaine. Il faut envisager l'hypothèse que les E-T en puissance, pour le moment tankés aux confins du cosmos, se prélassent dans des bains d'acide chlorhydrique et considèrent notre boule bleue comme un cloaque abject et mortel.

Tant qu’on n’a pas la preuve du contraire, l'humain est sur Terre pour jouir, et pour rien d'autre. Qu’y a-t-il de plus impérieux ? Tenter de vivre cette courte vie sans autre occurrence dans les meilleures conditions possibles, voilà l'objectif à suivre à défaut d'en connaître un autre. On ne sait pas trop pourquoi on naît à la vie (on connaît les mécanismes mais on ignore tout de la raison et du sens). On dispose juste de la certitude qu'elle finira un jour prochain. Des millions d'années d'histoire humaine et on n'en sait pas tellement plus sur le sujet (si on ne convoque que la science en écartant la fable religieuse).

Mais il y plusieurs façons de jouir. Aux deux extrêmes, il y a d'abord la jouissance sadique (adjectif que l'on doit au sulfureux marquis) qui consiste en une jouissance égoïste, qui ne tient compte de rien ni de personne, consacrée exclusivement au plaisir du jouisseur. Et, à l'autre bout du spectre, il y a la façon hédoniste, qui ne conçoit la jouissance qu'avec l'assentiment des autres, sans fabriquer de négativité ni de mal. Le plaisir sans causer de déplaisir.

C'est L'Homme, encore une fois, qui décide de la règle du jeu et pour son propre intérêt d'abord. Il doit s'appliquer à conserver les conditions de sa jouissance, de celle de ses descendants mais aussi la pérennité de sa propre existence (aujourd'hui et maintenant). Et c'est à l'aune de cet imperium qu'il doit penser et agir.

Au fond, ce qui précède ne dit rien de bien nouveau que ce que les écologistes promeuvent eux-mêmes, c'est-à-dire la conservation d'un cadre de vie, plein de couleurs et de diversités. C'est un angle de vue qui cependant remet un peu d'ordre dans les priorités et du pragmatisme en lieu et place de la branlette marketing qui fait office de nouveau Livre Saint. Parler aux gens de leurs intérêts est plus fédérateur, constructif et juste, que jouer sur les peurs, que leur dire qu'un requin vaut un humain et qu'ils doivent désormais, en toute occasion, céder la place parce qu'ils sont le mal, la gangrène de leur propre planète.

L'Homme apprend. Il ne cesse d'apprendre et d'évoluer, en science et en maturité. Mais l'Homme désigne LES hommes, tous différents, avec des contraintes économiques et sociales différentes, des niveaux de conscience différents, des désirs différents... L'Homme embarque le surfeur, l'écolo et le philosophe. Ils ont du mal à se comprendre. Ils y arriveront avec le temps si leur pire ennemi commun ne les perd pas avant : le dogmatisme.

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